LA MÉTAMORPHOSE
D'UN BERGER
EN MOUTON
Une belle et jeune Bergère
Au teint de lys, aux yeux fripons,
Mais d'humeur farouche et sévère,
N'aimait que ses petits moutons.
Tous les Bergers de son Village
Avaient langui pour ses appas,
Et las de n'essuyer que mépris et qu'outrage,
Tous étaient sortis d'esclavage,
En voyant que Philis ne les écoutait pas.
Le seul Tircis, toujours fidèle,
Ne cessait point de soupirer
Des maux que ses rigueurs lui faisaient endurer.
Il eut beau gémir, la cruelle À ses désirs
Toujours rebelle, Insultait à ses pleurs, riait de ses soupirs.
« Je ne le vois que trop; tu n'es qu'une chimère,
Dit‑il un jour au Dieu qu'on adore à Cythère.
En vain des Insensés adorent tes Autels;
Un barbare n'est point au rang des Immortels.
Ô Moutons trop chéris d'une ingrate Bergère,
Que ne puis‑je être admis dans votre heureux Troupeau
J'aurais ainsi que vous le bonheur de lui plaire... »
L'Amour descend du Ciel et vient dans le Hameau,
Où Tircis au pied d'un Ormeau
Dans les bras de Morphée allait finir sa plainte.
Le Berger fut saisi de surprise et de crainte;
Mais le Dieu par ces mots daigna le soulager
< Je viens pour te servir et non pour me venger.
Oui, je viens pour calmer ta peine.
Tu veux être Mouton; tu crois par ce moyen
Être aimé de ton inhumaine.
Sois donc Mouton, je le veux bien;
Que ton corps se charge de laine.
Tu verras bientôt l'heureux jour,
Qui doit (c'est moi qui t'en assure)
Récompenser avec usure,
Et ta constance et ton amour. »
Le Berger fait mouton et très content de l'être,
Gagne le pied de ce coteau,
Où Philis près de son Troupeau,
Pour se desennuyer, chantait un air champêtre.
Il s'en approche doucement,
La dévore des yeux, faisant semblant de paître,
Et quoique bien masqué, tremble à chaque moment
Qu'elle n'aille le reconnaître.
Le Soleil se plongeait dans le sein de Thétis
Philis se lève, marche, assemble ses brebis
,Sous l'empire de sa houlette;
Et d'abord le Berger, sous la laine caché,
Suit pas à pas la Belle, et va broutant l'herbette
Sur laquelle elle avait marché.
Ses tendres bêlements, dont résonnait la plaine,
Son ardeur à la suivre, et plus que tout cela,
Son embonpoint, sa belle laine,
(Femme souvent se prend par là)
Le firent remarquer par l'aimable Bergère.
« Grands Dieux, le beau Mouton! dit‑elle en l'approchant
T'avais‑je en mon troupeau? > Puis de sa panetière
Tire un morceau de pain; puis le va caressant,
Puis l'appelle Robin... Robin vient et la flatte
Ainsi qu'un chien donne la patte;
Lui baise à sa façon la main,
Fait mille petits bonds pour plaire à sa Maîtresse.
La Bergère lui rend caresse pour caresse,
Et le laisse déjà s'appuyer sur son sein.
Il jouissait tout seul de sa belle Bergère;
Seul près d'elle sur la fougère,
Il goûtait tous les jours un plaisir enchanté,
Qu'en son premier état il n'eût jamais goûté.
Si dans l'ardeur du jour une onde pure et claire Invitait quelquefois Philis à s'y baigner,
Lui seul pouvait l'accompagner. Que de beautés et que de charmes,
Interdits aux Mortels, étaient vus dans le bain Par Robin!
Mais qu'ils lui coûteront de larmes!
Que de maux vont troubler ses tranquilles plaisirs!
Que de sanglots! que de soupirs! Philis auprès d'une fontaine
Lavait ses pieds, peignait sa laine; Partageait avec lui son fromage et son pain,
Elle allait du hameau reprendre le chemin, Lorsqu'un Berger de son Village
Cherchant pour son troupeau quelque gras pâturage,
Arrive à la Fontaine où la Bergère était
Par hasard ce Berger tenait
Un chien dessous son bras, qui plut fort à la Belle.
« Vous avez là, Berger, dit elle, Un joli petit chien. »
LE BERGER
Bergère, il est à vous; Je suis trop content qu'il vous plaise.
LA BERGÈRE
Ne mord il point? Est il bien doux?
Permettez vous que je le baise ?
Laissez le moi pour un instant.
Sait il quelque tour de souplesse?
LE BERGER
S'il en sait? Vous allez le voir tout maintenant.
Allons, Marquis, que l'on se dresse;
Dansez autour de moi ; sautez sur ce bâton;
Allez caresser le Mouton ;
Donnez la patte à la Bergère; Étendez vous sur la fougère;
Faites le mort, mais avec agrément
Marquis, obéissez à ce commandement.
Marquis de plus en plus touchait la Jouvencelle.
Damon s'en aperçut: il soupirait pour elle,
Et, par un doux pressentiment,
Il jugea qu'il touchait au moment de lui plaire.
II offrit donc encor son chien à la Bergère,
Qui fit quelques façons, quelque temps résista,
Et puis à 1a fin l'accepta.
Sous le voile imposant de la reconnaissance,
L'amour, en faveur du Berger,
Dans le coeur de Philis prit aussitôt naissance.
Robin ne vit que trop qu'elle allait s'engager.
Ses larmes, ses regards, tout sentait la tendresse
Que faire en pareil cas ? Caresser sa maîtresse ?
Redoubler ses transports ? Ce sont soins superflus.
Robin fit tout cela, mais il ne plaisait plus.
Osait il approcher? Une main ennemie
S'armait de la houlette, et le chargeait de coups.
Ses moments, autrefois si doux,
Se passaient à traîner une mourante vie,
Pendant que Marquis à ses yeux
Jouissait des baisers qu'il méritait bien mieux.
Mais ce ne fut pas tout; on parla d'hyménée.
Philis du mot d'amour autrefois alarmée,
N'est plus cette même Philis
Elle y consent, et le jour pris,
Elle cherche un Mouton pour faire un sacrifice
Qui lui rende l'Hymen propice.
Robin, malgré tous ses malheurs,
Quoiqu'il ne broutât plus, quoiqu'il versât des pleurs,
Se trouva le plus beau de la troupe bêlante;
Sa Maîtresse cruelle encore plus qu'inconstante,
Le mit entre les mains des Sacrificateurs.
On commençait à voir paraître
Les Époux, précédés par un concert champêtre;
Déjà le cortège nombreux
De Bergers en habits de fête,
Ayant chapeaux de fleurs, et rubans sur leur tête,
Et pour un sort pareil faisant chacun des vœux,
Était mêlé parmi les Bergères aimables
Tous par cent airs joyeux priaient les Immortels
D'être à nos deux Amants à jamais favorables.
Déjà l'encens fumait sur les Autels
Déjà Robin, le cœur saisi de crainte,
Et prêt à recevoir une mortelle atteinte,
Présentait sa gorge au couteau
Quand par un spectacle nouveau
Toute la fête fut troublée.
L'Amour parut dans l'Assemblée,
Et s'approchant d'abord des Sacrificateurs;
« Arrêtez, leur dit il; épargnez vous un crime.
Ce Mouton, d'une Ingrate innocente victime,
Est le plus digne des Pasteurs
Mais il est temps qu'enfin, après tant de souffrance,
Il obtienne le prix de sa persévérance.
Mouton, deviens Berger» ; aussitôt fait que dit Robin
Mouton s'évanouit, Et Tircis parut en sa place.
La Bergère transie et plus froide que glace,
Connut sa faute et craignit justement
De l'Amour quelque châtiment;
Quand ce Dieu se tournant vers elle,
Et lui perçant le coeur d'un trait vif et brûlant,
« Soupire, lui dit il, cruelle;
Soupire et rends heureux un trop fidèle amant » .
Ce coup fit son effet. L'aimable Pastourelle,
Versant de tendres pleurs, qui la rendaient plus belle,
Se prosterne à ses pieds. Ravi d'étonnement,
Tircis relève sa Bergère, L'embrasse.
La douleur les contraint à se taire;
Douleur, qui naît toujours de l'excès des désirs,
Et qui bientôt après enfante les plaisirs.
Au malheur du Berger, le peuple s'intéresse.
Mais rempli tout entier de sa belle Maîtresse,
Ses regards languissants et doux,
Semblaient lui dire, « hélas! qu'attendons nous?
Unissons notre destinée »,
Les Sacrificateurs tout prêts pour l'hyménée,
Ne firent que changer le sujet de leurs vœux,
Ils offrent au lieu de victime,
Leurs cœurs au Dieu qui les anime.
Et l'Hymen sur le champ en vient serrer les nœuds.